Spectacle de forte intensité …..interprété par Jean-Vincent Brisa
Jean-Vincent Brisa a piloté de nombreux spectacles de commémoration d’évènements historiques.
Il a conçu ce montage , textes ou extraits qui portent sur les causes que Victor Hugo a défendues en tant qu’homme et député. Il y a ajouté quelques poèmes célèbres où le poète ouvre son cœur, lui qui a eu sa part de malheur.
La structure du montage intitulé » Hugo, celui du combat », place le malheur personnel de l’écrivain à la hauteur de l’injustice de la société du XIXè siècle. Il est fondé sur le respect de l’Autre
Pendant une heure de monologue, l’acteur dit avec une éloquence profondément émouvante des textes de Victor Hugo dénonçant la Misère, l’Exploitation des enfants, l’Esclavage, le Machisme, la Peine de Mort et d’autres sujets toujours d’actualité…
Seul sur l’estrade, avec un accompagnement musical minimaliste et un jeu d’éclairage intimiste , l’acteur réalise le tour de force de nous captiver et nous émouvoir de bout en bout.
Son interprétation nous fait revivre toute l’indignation du poète-écrivain, la force de ses idées, avec une diction bouleversante
Le montage commence par le début du fameux poème « Ce siècle avait deux ans », 1802 étant l’année de naissance de Hugo. Sa vie couvrira pratiquement tout le siècle, qui sera riche en événements et en tourments, pour ses contemporains comme pour lui. Il enchaine dès son jeune âge tous les succès littéraires, mais ce n’est pas ce volet que JV Brisa retient, mais celui de l’homme politique .
Autant de prises de position courageuses, d’avancées sociales par lesquelles il s’exposait, dans le contexte de l’époque. Il a forcément eu des réactions vives à l’Assemblée.
Le spectacle nous les fait revivre. Sur la forme, on imagine, on entend Hugo qui tour à tour s’apitoie, s’indigne, propose, argumente, s’enthousiasme, nous fait rêver. Sur le fond, il est surprenant de constater que ces écrits sont toujours d’actualité pour la plupart, preuve de leur modernité ou de leur intemporalité
Très impliqué dans le débat public, Hugo a été parlementaire sous la monarchie de Juillet et sous la 2è et 3è République. Dans ce cadre, il prononce quelques grands discours dont chacun, qu’il soit en vers ou en prose, porte sur une cause humanitaire fondamentale :
la lutte contre l’exploitation des enfants, l’ignorance, la misère, pour l’abolition de la peine de mort, l’instruction pour tous, la constitution des Etats Unis d’Europe (quelle vision !), l’amélioration du sort des prisonniers, la libération de la femme
S’insère vers la fin du spectacle un autre poème célèbre, cette fois très personnel
« Demain, dès l’aube », qui ravive la mort accidentelle de sa fille ainée Léopoldine, dont il ne s’est jamais remis. Il perdra aussi ses deux fils puis sa femme »
Poème « Demain dès l’aube »
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Le spectacle se poursuit par un extrait du long texte « Ce que c’est que l’exil », cet éloignement forcé de vingt ans qui l’a meurtri, conséquence de son opposition à NapoléonIII L’ensemble met en scène un regard d’homme dont nous nous sentons proches, où l’injustice humaine se fait le pendant de la dureté du sort.
L’exil a sinon été pour Hugo une période féconde, avec notamment Les Misérables, son roman mondialement connu, et ses plus fameux recueils de poésie.
De retour en France après la chute du second empire, il reste attaché à la paix et à la liberté et se bat encore pour améliorer la condition des plus faibles, réclame l’instruction pour tous et l’amnistie pour les prisonniers de la Commun
L’auteur a rassemblé ses principaux discours, déclarations et articles de presse, commentés par lui-même, dans le recueil Actes et paroles, publié en trois volumes en 1875 et 1876, commodément intitulés Avant l’exil, Pendant l’exil et Depuis l’exil Trois voix différentes mais un même humanisme.
Jusqu’à sa mort en 1885, Victor Hugo est reconnu comme le plus grand écrivain de sa génération et comme une figure emblématique du débat d’idées sur des sujets fondamentaux
Reconnaissant son talent, mais aussi son engagement résolument républicain, le pays le couvre d’honneurs, comme l’attribution de son nom à une avenue et une place parisiennes, de son vivant, un privilège rare et à sa mort des funérailles nationales suivies d’une entrée au Panthéon.
Conformément à sa volonté, c’est dans le « corbillard des pauvres » qu’a lieu la cérémonie, mais le cortège s’étire sur plusieurs kilomètres, avec près de deux millions de personnes, preuve s’il en fallait de sa popularité.
Jean Vincent Brisa a gardé un grand respect des textes de Victor Hugo , jusque dans les échanges avec l’auditoire en fin de représentation, ce qui n’interdit pas une prise de recul, par exemple lorsqu’il évoque la vie privée pas toujours exemplaire du grand homme.
JV Brisa nous a confié que, lorsqu’il enseignait en licence d’Art du spectacle, il s’appuyait sur des textes de Hugo et Shakespeare, en raison du fond et de la forme. Plus tard, il a décidé d’offrir ces offrir au public
Textes de Victor Hugo choisis par Jean Vincent Brisa
Mis en spectacle ce 30 Avril 2022
Les Contemplations – Livre Troisième Les Luttes et les Rêves – II
Melancholia ( extrait) de Victor Hugo
Où vont tous ces enfants
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d’une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer.
Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
Ô servitude infâme imposée à l’enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu’a fait Dieu ; qui tue, oeuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les coeurs la pensée,
Et qui ferait – c’est là son fruit le plus certain –
D’Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l’âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d’un enfant ainsi que d’un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l’homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l’on s’abâtardit,
Maudit comme l’opprobre et comme le blasphème !
Ô Dieu ! qu’il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, saint, fécond, généré
Qui fait le peuple libre et qui rend l’homme heureux !
Lettre de Victor Hugo à Léon Richer – extrait
LA FEMME
Il est douloureux de le dire, dans la civilisation actuelle, il y a une esclave. La loi a des euphémismes ; ce que j’appelle une esclave, elle l’appelle une mineure ; cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité, c’est la femme. L’homme a chargé inégalement les deux plateaux du code, dont l’équilibre importe à la conscience humaine ; l’homme a fait verser tous les droits de son côté et tous les devoirs du côté de la femme. De là un trouble profond. De là la servitude de la femme. Dans notre législation telle qu’elle est, la femme ne possède pas, elle n’este pas en justice, elle ne vote pas, elle ne compte pas, elle n’est pas. Il y a des citoyens, il n’y a pas de citoyennes. C’est là un état violent ; il faut qu’il cesse.
Je sais que les philosophes vont vite et que les gouvernants vont lentement ; cela tient à ce que les philosophes sont dans l’absolu, et les gouvernants dans le relatif ; cependant, il faut que les gouvernants finissent par rejoindre les philosophes. Quand cette jonction est faite à temps, le progrès est obtenu et les révolutions sont évitées. Si la jonction tarde, il y a péril.
Dans la question de l’éducation, comme dans la question de la répression, dans la question de l’irrévocable qu’il faut ôter du mariage et de l’irréparable qu’il faut ôter de la pénalité, dans la question de l’enseignement obligatoire, gratuit et laïque, dans la question de la femme, dans la question de l’enfant, il est temps que les gouvernants avisent. Il est urgent que les législateurs prennent conseil des penseurs, que les hommes d’état, trop souvent superficiels, tiennent compte du profond travail des écrivains, et que ceux qui font les lois obéissent à ceux qui font les moeurs. La paix sociale est à ce prix.
Avant peu, n’en doutons pas, justice sera rendue et justice sera faite.
L’homme à lui seul n’est pas l’homme ; l’homme, plus la femme, plus l’enfant, cette créature une et triple constitue la vraie unité humaine.
Toute l’organisation sociale doit découler de là. Assurer le droit de l’homme sous cette triple forme, tel doit être le but de cette providence d’en bas que nous appelons la loi.
Redoublons de persévérance et d’efforts. On en viendra, espérons-le, à comprendre qu’une société est mal faite quand l’enfant est laissé sans lumière, quand la femme est maintenue sans initiative, quand la servitude se déguise sous le nom de tutelle, quand la charge est d’autant plus lourde que l’épaule est plus faible ; et l’on reconnaîtra que, même au point de vue de notre égoïsme, il est difficile de composer le bonheur de l’homme avec la souffrance de la femme.
Écrit après une visite au bagne – extrait
Les Quatre Vents de l’Esprit
Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l’école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d’une croix.
C’est dans cette ombre-là qu’ils ont trouvé le crime.
L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme.
Où rampe la raison, l’honnêteté périt.
Dieu, le premier auteur de tout ce qu’on écrit,
A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,
Les ailes des esprits dans les pages des livres.
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
Planer là-haut où l’âme en liberté se meut.
L’école est sanctuaire autant que la chapelle.
L’alphabet que l’enfant avec son doigt épelle
Contient sous chaque lettre une vertu ; le coeur
S’éclaire doucement à cette humble lueur.
Donc au petit enfant donnez le petit livre.
Marchez, la lampe en main, pour qu’il puisse vous suivre.
Actes et Paroles T1 – Assemblée Législative –( extraits)
LA MISERE
Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère ! oui, cela est possible. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli.
La misère, messieurs, j’aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir où elle en est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu’où elle peut aller, jusqu’où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au moyen-âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ? Voulez-vous des faits ?
Il y a dans Paris…
Mon Dieu, je n’hésite pas à les citer, ces faits. Ils sont tristes, mais nécessaires à révéler ; et tenez, s’il faut dire toute ma pensée, je voudrais qu’il sortît de cette Assemblée, et au besoin j’en ferai la proposition formelle, une grande et solennelle enquête sur la situation vraie des classes laborieuses et souffrantes en France. Je voudrais que tous les faits éclatassent au grand jour. Comment veut on guérir le mal si l’on ne sonde pas les plaies ?
Voici donc ces faits.
Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l’émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n’ayant pour lits, n’ayant pour couvertures, j’ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures humaines s’enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l’hiver.
Voilà un fait. En voulez-vous d’autres ? Ces jours-ci, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n’épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l’on a constaté, après sa mort, qu’il n’avait pas mangé depuis six jours. Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon !
Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière ; que je m’en sens, moi qui parle, complice et solidaire, et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l’homme, que ce sont des crimes envers Dieu !
Voilà pourquoi je suis pénétré, voilà pourquoi je voudrais pénétrer tous ceux qui m’écoutent de la haute importance de la proposition qui vous est soumise. Ce n’est qu’un premier pas, mais il est décisif. Je voudrais que cette Assemblée, majorité et minorité, n’importe, je ne connais pas, moi, de majorité et de minorité en de telles questions ; je voudrais que cette Assemblée n’eût qu’une seule âme pour marcher à ce grand but, à ce but magnifique, à ce but sublime, l’abolition de la misère !
10
Et, messieurs, je ne m’adresse pas seulement à votre générosité, je
m’adresse à ce qu’il y a de plus sérieux dans le sentiment politique d’une
assemblée de législateurs. Et, à ce sujet, un dernier mot.
Messieurs, vous venez, avec le concours de la garde nationale, de l’armée et de toutes les forces vives du pays, vous venez de raffermir l’état ébranlé encore une fois. Vous n’avez reculé devant aucun péril, vous n’avez hésité devant aucun devoir. Vous avez sauvé la société régulière, le gouvernement légal, les institutions, la paix publique, la civilisation même. Vous avez fait une chose considérable. Eh bien ! vous n’avez rien fait !
Vous n’avez rien fait, j’insiste sur ce point, tant que l’ordre matériel raffermi n’a point pour base l’ordre moral consolidé ! Vous n’avez rien fait tant que le peuple souffre ! Vous n’avez rien fait tant qu’il y a au-dessous de vous une partie du peuple qui désespère ! Vous n’avez rien fait, tant que ceux qui sont dans la force de l’âge et qui travaillent peuvent être sans pain ! tant que ceux qui sont vieux et qui ne peuvent plus travailler sont sans asile ! tant que l’usure dévore nos campagnes, tant qu’on meurt de faim dans nos villes, tant qu’il n’y a pas des lois fraternelles, des lois évangéliques qui viennent de toutes parts en aide aux pauvres familles honnêtes, aux bons paysans, aux bons ouvriers, aux gens de cœur ! Vous n’avez rien fait, tant que l’esprit de révolution a pour auxiliaire la souffrance publique ! Vous n’avez rien fait, rien fait, tant que, dans cette œuvre de destruction et de ténèbres, qui se continue souterrainement, l’homme méchant a pour collaborateur fatal l’homme malheureux !
Messieurs, songez-y, c’est l’anarchie qui ouvre les abîmes, mais c’est la misère qui les creuse. Vous avez fait des lois contre l’anarchie, faites maintenant des lois contre la misère !
Merci à Jean-Vincent Brisa pour son interprétation emprunte d’émotion, de profondeur et d’humanité.